Le sens commun selon Thomas d’Aquin

e concept de “sens commun” occupe une place centrale dans la philosophie de Thomas d’Aquin, un des plus grands théologiens et philosophes du Moyen Âge. Inspiré par Aristote et cherchant à concilier la foi chrétienne avec la raison, d’Aquin développe une compréhension unique du sens commun. Il s’agit d’une faculté cognitive permettant de coordonner les informations reçues par les sens externes et de les transformer en une perception unifiée du monde. Dans cet article, nous explorerons le concept du sens commun selon Thomas d’Aquin, en détaillant son rôle, son lien avec les autres facultés cognitives, et son importance dans la connaissance humaine.

Le cadre aristotélicien du sens commun

Thomas d’Aquin s’appuie largement sur la philosophie aristotélicienne dans sa réflexion sur le sens commun. Pour Aristote, le sens commun (sensus communis) est la capacité qui permet à l’être humain de percevoir les informations reçues de ses cinq sens et de les intégrer dans une perception globale cohérente. Sans cette faculté, les sensations ne pourraient être perçues comme appartenant à un même objet. Par exemple, une pomme serait perçue de manière fragmentée : sa couleur, son goût et son odeur ne seraient pas réunis dans une seule expérience sensorielle.

D’Aquin reprend cette idée et l’adapte dans une vision chrétienne du monde, en accordant au sens commun une place importante dans l’édifice de la connaissance humaine. Le sens commun permet non seulement de rassembler les données sensorielles, mais aussi de garantir que la perception soit ordonnée et intelligible. Cela joue un rôle clé dans la capacité humaine à appréhender la réalité et à en tirer des conclusions rationnelles.

Les facultés cognitives et le sens commun

Dans la pensée de Thomas d’Aquin, le sens commun fait partie des facultés cognitives sensibles, celles qui reposent sur les sens corporels. Il distingue les sens externes, comme la vue, l’ouïe et le toucher, des facultés internes, parmi lesquelles le sens commun, la mémoire, l’imagination et la cogitative.

Le sens commun a une fonction spécifique dans ce cadre : il est responsable de l’unification des perceptions sensorielles. Lorsqu’un individu voit une pomme, la sensation visuelle de sa couleur rouge, l’odeur qu’elle dégage et la texture lorsqu’on la touche sont combinées grâce au sens commun. Cette perception unifiée est essentielle pour que l’esprit puisse ensuite former une idée de l’objet.

D’Aquin distingue le rôle du sens commun de celui des autres facultés sensibles. L’imagination, par exemple, conserve les images perçues après que l’objet ait cessé d’être présent, tandis que la mémoire permet de se souvenir de ces perceptions dans le temps. Le sens commun, quant à lui, est actif pendant la perception immédiate et permet de former un jugement premier sur l’expérience sensorielle.

Le sens commun et la vérité

Une des questions essentielles que d’Aquin aborde est celle de la vérité de la perception. Comment savons-nous que ce que nous percevons par nos sens correspond à la réalité ? Selon lui, le sens commun joue un rôle fondamental dans cette quête de vérité. Il assure que les informations sensorielles sont cohérentes et peuvent être validées par la raison. Le sens commun est donc la base à partir de laquelle l’intellect peut fonctionner correctement.

Cela nous amène à une réflexion plus large sur le rôle de la perception dans la connaissance humaine chez Thomas d’Aquin. Il soutient que toute connaissance commence par les sens, mais elle ne se limite pas à eux. Le sens commun est une première étape dans un processus de cognition plus complexe, qui inclut ensuite la raison et l’intellect. Pour d’Aquin, bien que la connaissance sensible soit limitée, elle est fiable parce qu’elle reflète la réalité de manière ordonnée, grâce à l’action du sens commun.

Le lien avec la théologie

Dans la théologie thomiste, la faculté du sens commun a aussi des implications dans la compréhension de la condition humaine dans le plan divin. Thomas d’Aquin soutient que l’être humain, en tant que créature rationnelle, a été doté par Dieu de facultés qui lui permettent de comprendre le monde et d’agir en son sein de manière rationnelle. Le sens commun est une de ces facultés données par Dieu pour que l’homme puisse naviguer dans la réalité physique tout en cherchant la vérité divine.

De plus, cette faculté de perception unifiée a un rôle dans la morale et dans la vie pratique. En percevant le monde de manière cohérente, l’homme est capable de prendre des décisions éclairées et conformes à la volonté divine. Ainsi, le sens commun chez Thomas d’Aquin n’est pas seulement une faculté cognitive, mais aussi un élément clé dans la capacité humaine à vivre une vie morale et à rechercher la vérité ultime, qui est Dieu.

Le sens commun, selon Thomas d’Aquin, est bien plus qu’une simple fonction cognitive de base. Il joue un rôle essentiel dans l’unification des perceptions sensorielles et permet à l’être humain de comprendre le monde de manière cohérente et intelligible. Inscrit dans un cadre aristotélicien, le sens commun est chez d’Aquin à la fois le fondement de la perception et un préalable à la connaissance intellectuelle. De plus, il revêt une importance théologique dans la mesure où il permet à l’homme de vivre en accord avec la réalité créée par Dieu et de poursuivre une quête de vérité divine.

En somme, pour Thomas d’Aquin, le sens commun est une porte d’entrée vers une connaissance plus profonde, qui mêle les capacités sensorielles de l’homme à sa vocation spirituelle.