Réflexions sur la vie et la mort à travers Schopenhauer et Nietzsche

La question de savoir si nous choisirions de revivre notre vie telle qu’elle est se pose souvent à l’aune de la réflexion philosophique. Que ferait-on si c’était à refaire ? Ce questionnement nous renvoie à deux idéologies distinctes et profondément marquantes de la philosophie moderne : celle de Schopenhauer et celle de Nietzsche.

Arthur Schopenhauer, philosophe du pessimisme, considère que ce n’est pas la mort qui est dramatique, mais bien la naissance. Pour lui, le fait de venir au monde signifie entrer dans une existence marquée par la souffrance, le désir inassouvi, et une quête interminable de sens. Mourir, dès lors, n’est qu’une fin inévitable à ce tourment qu’est la vie.

Friedrich Nietzsche, en revanche, adopte une perspective radicalement différente. Il introduit le concept de l’éternel retour, une théorie selon laquelle chaque instant de notre vie est appelé à se répéter indéfiniment. Selon cette vision, il ne s’agit pas simplement de vivre, mais de vivre de telle sorte que l’on accepterait de revivre chaque moment, encore et encore, pour l’éternité. Cet éternel retour, loin d’être un fardeau, peut être perçu comme une source de joie humaine. Il pousse à apprécier chaque instant comme s’il devait durer à jamais, et à vivre de manière à ne rien regretter.

L’éternel retour : un concept stimulant ou angoissant ?

Cependant, l’idée de revivre les mêmes événements éternellement, dans les mêmes conditions, peut paraître angoissante. Si l’on prend en considération toutes les expériences négatives que nous avons vécues, l’éternel retour semble inéluctablement introduire des facteurs à la fois positifs et négatifs dans notre évaluation de la vie. Voudrions-nous vraiment réitérer nos erreurs, nos douleurs, nos regrets, tout comme nos joies et nos succès ? Nietzsche pousse ici à un exercice mental extrême : celui de l’acceptation totale de la vie telle qu’elle est.

Personnellement, je ne suis pas favorable à cette idée de l’éternel retour. La perspective de revivre indéfiniment les mêmes événements, bons ou mauvais, me paraît limitative. Cela nous force, dans une certaine mesure, à adopter une posture d’évaluation constante de notre existence. On se retrouverait à faire le bilan de sa vie, à tenter de quantifier ce qui a été positif et ce qui a été négatif. Mais cette évaluation est intrinsèquement biaisée, subjective, et dépend de facteurs souvent changeants, qui rendent tout bilan imparfait.

L’erreur de l’évaluation de la vie

Au-delà des philosophies de Nietzsche et Schopenhauer, je crois profondément que nous ne devrions pas chercher à évaluer notre vie, à la résumer en termes de succès ou d’échecs. En réalité, on ne “réussit” pas sa vie, tout comme on ne la “rate” pas. Cette idée de succès ou d’échec est souvent une construction sociale, un poids inutile que l’on s’impose. Il est essentiel de se rappeler que la vie est un processus, une expérience continue. Chaque instant compte, non pas en fonction de sa valeur mesurable, mais en tant qu’une partie d’un tout, incommensurable et unique.

Vivre pleinement, c’est avant tout accepter que la vie soit fluide, imparfaite, et par moments insaisissable. La notion de performance, d’évaluation, est ici hors de propos. Ce que nous vivons ne se prête pas nécessairement à un bilan, car la vie elle-même est en perpétuelle transformation.

Vivre sans regret

Alors, que faire de l’idée du “si c’était à refaire ?” Peut-être devrions-nous simplement vivre notre vie sans cette perspective d’évaluation, sans chercher à déterminer si nous avons bien ou mal agi. Chaque expérience, qu’elle soit positive ou négative, contribue à façonner la personne que nous sommes aujourd’hui. Et cette personne, avec ses failles et ses forces, mérite d’être pleinement acceptée.

La pensée de Schopenhauer sur la naissance comme le vrai drame de l’existence nous rappelle que vivre est un défi en soi. Nietzsche, de son côté, nous invite à envisager ce défi comme une opportunité, une chance d’embrasser pleinement la vie, ses répétitions, et ses hauts et ses bas. Mais au final, c’est peut-être en refusant de peser et de mesurer notre existence que nous parvenons à vivre réellement. La vie n’est pas une chose à “réussir” ou à “échouer” : elle est tout simplement à vivre, dans toute sa complexité…